Pourquoi Twitter ne sera jamais un lieu d'expression démocratique
|

Pourquoi Twitter ne sera jamais un lieu d’expression démocratique

Amis, Penseurs Critiques,

Cette déclaration d’Elon Musk, propriétaire de Twitter, rebaptisé X, soulève des questions intéressantes sur la question de la liberté d’expression et de la démocratie.

La « démocratie du tweet » offre des possibilités inédites de participation citoyenne et de transparence politique.

Mais elle soulève aussi des inquiétudes: les réactions y sont souvent sans filtre, viscérales, haineuses ou pénalement répréhensibles.

Comment cette « agora numérique » peut s’inscrire dans un contexte de liberté d’expression?

Pourrait-elle un jour dicter des choix de société ? C’est la réflexion à laquelle je vous propose de nous livrer aujourd’hui.

Allons voir si nos systèmes démocratiques pourraient se fusionner avec X et interrogeons nous sur la citoyenneté 2.0.

Vous y êtes? C’est par ici.

1. La métamorphose de Twitter : du microblogging à la foire numérique

La genèse d’une révolution communicationnelle

Depuis sa création en 2006, Twitter a profondément transformé le paysage de la communication.

Avec son concept novateur de messages courts limités à 140 caractères (puis 280), la plateforme a ouvert la voie à une nouvelle forme d’expression : directe, spontanée, accessible à tous.

Le nombre d’utilisateurs actifs mensuels de Twitter est passé de 30 millions en 2010 à 353,9 millions en 2023, soit une croissance de plus de 1000% en un peu plus d’une décennie.

La transformation d’un médium

Au fil des années, Twitter est devenu bien plus qu’un simple outil de microblogging.

Il s’est imposé comme un véritable média d’information en temps réel, où les breaking news apparaissent souvent avant même d’être relayées par les canaux traditionnels.

En 2012, Twitter enregistrait en moyenne 175 millions de tweets par jour. En 2023, ce chiffre a grimpé à 500 millions, illustrant l’intensification des échanges sur la plateforme.

L’ère « X » : une ambition renouvelée

L’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter en 2022 marque un tournant.

Rebaptisée « X », la plateforme ambitionne de devenir un écosystème numérique complet, intégrant de nouvelles fonctionnalités et des outils de création de contenu innovants.

Mais c’est surtout la vision de Musk sur la liberté d’expression qui suscite le plus de débats.

2. Twitter, l’ambition d’un nouveau théâtre de la politique

La démocratisation du débat politique

Twitter a profondément transformé la nature du débat politique.

En effet, en offrant un espace d’interaction directe entre citoyens et élus, la plateforme a démocratisé l’accès à la parole politique.

Dès lors, chacun peut interpeller directement les décideurs, en ayant le sentiment de briser les barrières traditionnelles entre gouvernants et gouvernés.

Toutefois, ce n’est qu’un leurre car fondamentalement, il s’agit de communication politique. Les équipes qui gèrent les comptes X des personnalités politiques en connaissent les codes et rares sont les personnalités qui répondent directement.

Quand bien même le voudraient-ils, la masse de sollicitations les découragerait: Lors de l’élection présidentielle américaine de 2020, plus de 700 millions de tweets liés à l’élection ont été partagés, témoignant de l’intensité des échanges politiques sur la plateforme.

La communication politique réinventée

Les responsables politiques ont rapidement saisi le potentiel de Twitter pour communiquer directement avec leurs électeurs.

De fait, les annonces majeures, autrefois réservées aux canaux officiels, se font désormais en 280 caractères. Le Président Trump annonce ainsi le 7 octobre 2020, que le retrait des dernières troupes d’Afghanistan serait effectif deux mois plus tard

En 2019, c’est le Premier ministre indien Narendra Modi qui était le leader mondial le plus suivi sur Twitter avec plus de 50 millions d’abonnés, illustrant le poids de la plateforme dans la communication politique à l’échelle globale.

Le phénomène des comptes parodiques

Twitter a également vu émerger un phénomène inédit : les comptes parodiques de personnalités politiques.

Utilisant l’humour et la satire, ces comptes offrent un regard décalé sur l’actualité politique.

Ainsi, le compte parodique @realDonaldTrFr, qui caricature l’ancien président américain Donald Trump, compte plus de 100 000 abonnés.

En France, le compte @sandruisseau compte 159k abonnés soit plus que celui de la député Sandrine Rousseau qu’il parodie ouvertement!

L’impact sur la qualité du débat

Cependant, la nature même de Twitter, avec sa limite de caractères et son rythme effréné, interroge sur la qualité du débat qu’il permet.

Une étude de l’Université d’Oxford a montré que les tweets politiques contiennent en moyenne 20% de moins d’arguments que les discours traditionnels.

Dès lors, cette tendance à la simplification pose un défi majeur pour la profondeur et la nuance nécessaires à un véritable débat démocratique.

3. La « démocratie du tweet » à l’épreuve des réalités

Un phénomène générationnel ciblé

Si Twitter est devenu un espace incontournable du débat public, il est important de noter que son usage est loin d’être uniforme à travers les générations.

Selon une étude de Pew Research Center,

  • 38,5% des utilisateurs de Twitter dans le monde ont entre 25 et 34 ans,
  • Seulement 6,6% ont entre 13 et 17 ans.
  • Les 50 ans et plus ne représentent que 17,1% des utilisateurs.

Cette disparité générationnelle dans l’usage de Twitter soulève des questions sur la représentativité de la « démocratie du tweet ».

Si les jeunes adultes sont surreprésentés dans les débats en ligne, cela peut-il biaiser la perception des enjeux politiques ?

Les classes plus âgées, en particulier les baby-boomers qui représentent pourtant un poids important en termes de participation électorale, n’ont pas recours à ce moyen de communication pour peser et préfèrent les moyens traditionnels d’expression politique.

Lors des élections présidentielles de 2017, leur taux de participation était de 83% pour les 65 ans et plus au premier tour, contre 71% pour les moins de 35 ans. Cet écart s’est creusé lors des législatives, avec 69% de participation pour les plus de 65 ans contre seulement 31% pour les moins de 35 ans.

Un effet de temporisation de la société ?

Cette sous-représentation des générations plus âgées et plus jeunes sur Twitter n’est peut-être pas entièrement négative.

Elle pourrait agir comme un effet de temporisation sur le débat public, en contrebalançant l’immédiateté et l’intensité des échanges sur la plateforme.

En effet, une étude a montré que l’agressivité sur Twitter rend les échanges rationnels plus difficiles.

Les utilisateurs sous confinement pendant la pandémie de COVID-19 ont démontré des niveaux d’agressivité plus élevés que ceux qui n’étaient pas confinés, suggérant un lien de causalité entre le confinement et l’augmentation de l’agressivité en ligne.

Le dilemme de la régulation

Mais cette expression citoyenne globale se heurte aux réalités des cadres juridiques nationaux.

Les États sont confrontés à un dilemme : comment concilier la liberté d’expression propre à Twitter avec la nécessité de maintenir un débat public respectueux et constructif ?

En Allemagne, la loi NetzDG oblige les réseaux sociaux à supprimer les contenus illégaux sous 24 heures, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros.

En France, c’est l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), en tant que régulateur, qui est chargée de veiller au respect par les plateformes comme Twitter des obligations légales françaises.

Elle dispose de pouvoirs de sanction pouvant aller jusqu’à des amendes représentant 6% du chiffre d’affaires mondial.

Au-delà de la modération des contenus, l’Arcom a également pour mission plus large de réguler et superviser les grandes plateformes numériques sur des enjeux comme la désinformation, la haine en ligne, la protection des mineurs, la transparence des algorithmes.

Repenser la citoyenneté à l’ère numérique

L’émergence de Twitter comme espace de débat public nous invite à repenser la nature même de la citoyenneté et de la participation démocratique à l’ère numérique.

Alors que le débat démocratique accepte la conflictualité dans un espace régulé, une étude de l’Université de New York a montré que les utilisateurs de Twitter sont plus engagés politiquement que la moyenne, mais aussi plus polarisés.

Dans ces conditions, le militantisme sur Twitter n’a pas de fin car le débat est toujours ouvert alors que la temporalité démocratique suppose des phases de débat et des phases de décision, via le vote. Au terme de la procédure, le débat est supposé clos.

Le phénomène des bulles de filtres

Twitter pose également le défi des bulles de filtres.

Une étude du MIT a révélé que sur Twitter, un utilisateur a trois fois plus de chances d’être exposé à des informations qui confortent ses opinions qu’à des informations qui les remettent en question.

Or, la vie démocratique suppose l’expression de tous les points de vue. C’est le travail d’audition des commissions dans les assemblées parlementaire.

Partant, la mise « en boucle » des opinions, conduit à générer des positions irréconciliables, confortées par leur biais de confirmation.

Cette polarisation des avis fragmente le débat public et menace la cohésion sociale nécessaire à une démocratie saine.

Le rôle des algorithmes

Au cœur de ces enjeux se trouve la question du rôle des algorithmes dans la diffusion de l’information sur Twitter.

L’Université de Californie a ainsi montré que les tweets contenant de la désinformation ont 70% plus de chances d’être retweetés que les tweets factuels.

Ce biais algorithmique soulève des interrogations cruciales sur la transparence et la responsabilité dans la formation de l’opinion publique à l’ère numérique.

4. Vers une redéfinition de la pratique démocratique

La « démocratie du tweet », telle que défendue par Elon Musk, représente à la fois une opportunité et un défi pour nos sociétés démocratiques.

Elle offre des possibilités inédites de participation citoyenne directe et de partage de réflexion sur des sujets communs.

Elle soulève aussi des questions cruciales sur la qualité du débat public et la prise de décision politique.

Le principe d’une participation par des moyens dématérialisés n’est pas inenvisageable, il pourrait même être souhaitable. Il importe cependant de réguler deux facteurs décisifs:

  • La polarisation et la radicalisation des opinions. La démocratie suppose un dialogue et une régulation de la conflictualité sociale pour aboutir à un compromis, ces facteurs semblent bien loin des réactions observes sur X;
  • Un élargissement de la présence en ligne à toutes les classes d’âge et les catégories sociales afin d’assurer une représentation la plus fidèle possible de la société.

Intégrer ces nouvelles formes d’expression dans nos systèmes démocratiques nécessite donc une réflexion approfondie.

Comment tirer parti de la spontanéité et de l’immédiateté offertes par Twitter tout en préservant la profondeur et la nuance nécessaires à un débat démocratique de qualité ? I

l est essentiel de reconnaître que Twitter, malgré son influence considérable, ne peut à lui seul tenir lieu de démocratie directe.

La démocratie exige une réflexion critique, une compréhension approfondie des enjeux complexes et une capacité à forger des compromis, aspects qui ne peuvent être pleinement réalisés dans le cadre restreint d’un tweet.

Le défi qui se présente à nous est donc de trouver un équilibre entre l’expression citoyenne immédiate facilitée par les réseaux sociaux et les processus démocratiques traditionnels qui nécessitent un encadrement formel pour assurer la régularité de la procédure et limiter les dérives.

En définitive, la « démocratie du tweet » nous invite à réinventer notre conception de la citoyenneté et de la participation politique en maintenant l’esprit des institutions démocratiques qui est celui de la concorde et du respect du contradictoire.

J’espère que cette réflexion vous aura donné quelques pistes de réflexion et que votre pratique de la plateforme s’en trouvera éclairée. N’hésitez pas à réagir dans les commentaires.

Spread the love

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *