Pourquoi La Culture Générale est un outil de compréhension du Monde Moderne

Introduction : Qu’est-ce que la culture générale et pourquoi est-elle importante ?

Assurément, la question de la culture a en France une place tout à fait particulière, voire exceptionnelle.

Elle est valorisée mais paradoxalement, c’est en dehors de l’école qu’elle s’acquiert. Bourdieu, parlait à son égard de « Capital culturel » et soulignait ainsi à quel point il constituait un instrument de discrimination, parce qu’il se reproduisait au sein de la famille.

 Dans l’imaginaire collectif, la « culture » est « générale » . Une sorte de touche à tout, vaste, éclatée, passant subtilement de l’histoire de l’art à la politique contemporaine, les sciences et la littérature.

C’est l’apanage de l’honnête homme du XVe siècle à nos jours, celui qui brille en société, captive son auditoire et triomphe dans les jeux télévisés.

Dès que l’on tente de la définir, elle se dérobe.

Connaissances encyclopédiques ou aptitude à faire des liens entre les différents domaines du savoir ? Intelligence sociale ou confiture un peu trop étalée ?

La culture générale a la définition que chacun voudra bien lui donner, à la fois pédantte et précieuse ; elle est aussi – et surtout – un outil précieux de compréhension du monde contemporain. C’est en tous cas la thèse que nous allons tenter de défendre ici.

1 Difficile de définir la Culture Générale

Perceptions Courantes de la Culture Générale

L’expression « culture générale », est problématique.

En France, elle est largement utilisée dans le langage courant et institutionnel.

De fait, il serait plus pertinent de parler de « savoirs transversaux » ou de « connaissances interdisciplinaires », car ces termes reflètent mieux la nature diverse et interconnectée des savoirs en question.

Néanmoins, malgré son imprécision, l’expression « culture générale » persiste car elle évoque pour la plupart des gens un socle commun de connaissances et de compétences intellectuelles jugées essentielles dans notre société.

On comprendra donc que la culture générale ne se limite pas à une simple accumulation de faits disparates, mais englobe plutôt la capacité à établir des liens entre différents domaines de connaissance, à comprendre les enjeux complexes de notre monde, et à développer un esprit critique.

Ainsi, bien que l’appellation soit discutable d’un point de vue épistémologique, son usage perdure par commodité et par convention tacite.

Si l’honnête homme, selon Pascal devait être « mêlé », c’est-à-dire capable de s’adapter aux situations, du fait de son érudition, le concept a fait long feu.

L’esprit cultivé est trop souvent associé à une distinction sociale. Sa connaissance apparaissant alors comme le fruit d’une curiosité naturelle et d’un apprentissage continu tout au long de la vie. Preuve aussi qu’il ne s’est pas épuisé dans un labeur trop épuisant.

La Culture Générale dans les Concours Administratifs

C’est sans doute dans le contexte spécifique des concours administratifs que la notion de culture générale prend tout son sens et révèle sa véritable nature. C’est là qu’elle est le plus clairement définie, au risque d’en fixer arbitrairement les limites.

Les épreuves de culture générale des grands concours de l’État, et en particulier celui de feue l’École Nationale d’Administration (ENA), comme portant « sur une question contemporaine liée au rôle des pouvoirs publics et leurs rapports avec la société ».

De la culture donc, mais avec des morceaux d’Etat dedans. On sait déjà comment le candidat devra conclure sa rédaction.

Nous verrons tout au long de ces lignes que l’enjeu de la culture générale est précisément qu’elle est définie pour une finalité propre. Le plus souvent préparer un concours. Ou un jeu télévisé.

Elle est instrumentalisée à des fins qui sont sans doute louables mais sa mise à disposition de chaque individu, pour remettre en perspective les enjeux de société et l’orienter dans ses choix est une cause encore plus noble. 

Une Anecdote Révélatrice

Je me souviens avec acuité de mes années de préparation aux concours. Il circulait alors  une maxime selon laquelle « La culture générale, ça ne se prépare pas, c’est une épreuve où on donne son avis. »

Il y a sans doute une part de vérité car l’épreuve visait à «  vérifier non seulement les connaissances générales des candidats, mais aussi leur capacité à structurer une argumentation cohérente et à illustrer leurs propos avec des exemples pertinents »

En d’autres termes, nous avons tous une opinion, mais seuls ceux qui savent la rendre cohérente avec un ensemble de valeurs, seront distingués.

2 Culture générale ou Liberal Education ? Deux approches pour former les citoyens de demain

L’approche française : une valorisation de l’érudition multidisciplinaire

En France, la culture générale est souvent définie, comme nous l’avons vu, comme « l’ensemble des connaissances fondamentales dans divers domaines intellectuels, artistiques et sociaux qu’un individu acquiert au cours de sa vie à travers l’éducation, l’expérience et l’interaction avec son environnement » (Forquin, 2008).

Cette définition met l’accent sur l’étendue et la diversité des connaissances, plutôt que sur leur application pratique.

L’importance de la diversité des connaissances

La popularité des jeux télévisés, des quizz en tous genres, illustre cette vision.

Les participants sont valorisés pour leur érudition et leur capacité à répondre à des questions couvrant un large éventail de sujets.

Dans des cercles plus académiques, la culture générale à la française valorise la capacité à établir des liens entre des domaines apparemment disparates.

Dans sa conférence « Les Humanités aujourd’hui », Marc Fumaroli souligne l’importance de cet enseignement dans l’éducation et la formation de l’esprit critique. Il se fonde sur les révolutions de l’imprimerie et de la photographie pour appuyer son propos.

On mesure ici combien sa puissance de conviction tient à son érudition et à sa capacité à convoquer des références au service de son propos.

L’approche américaine : la « Liberal Education » pragmatique

À l’inverse, l’approche américaine de la « Liberal Education » adopte une perspective plus pragmatique.

L’ American Association for the Advancement of Science écrit :  » idéalement, une éducation libérale forme des personnes ouvertes d’esprit et libres de tout provincialisme, dogmatisme, préjugé et idéologie; conscientes de leurs opinions et jugements; réfléchissant à leurs actions; et conscientes de leur place dans les mondes social et naturel.”[1].

Changement de paradigme.

La vision se veut ici plus utilitaire, dans la droite lignée du « Pragmatisme », courant philosophique fondée par Wiliam James qui considérait l’intérêt des idées philosophiques, seulement à la lumière de leurs effets pratiques.

Cette approche met l’accent sur le développement de compétences transversales telles que la pensée critique, la résolution de problèmes et la communication efficace.

Les programmes de Liberal Education s’attachent à former des individus capables de s’adapter à un monde en constante évolution, plutôt que de maîtriser un corpus fixe de connaissances.

L’impact de cette approche se manifeste dans la flexibilité des cursus universitaires américains, qui encouragent les étudiants à explorer diverses disciplines avant de se spécialiser.

Elle se reflète également dans le monde professionnel, où la capacité d’adaptation et d’apprentissage continu est souvent plus valorisée que l’érudition pure.


[1] Project on Liberal Education and the Sciences (1990). The Liberal Art of Science: Agenda for Action. Washington, DC: American Association for the Advancement of Science. ISBN 0-87168-378-4

Vers une synthèse : l’importance du « balancement circonspect »

Bien que ces deux approches semblent opposées, elles devraient se compléter. En 2008, le jury de l’ENA rend son rapport et souligne sou attachement à « l’art du balancement circonspect ».

Cette notion illustre la nécessité de combiner une large base de connaissances avec la capacité de les mobiliser de manière critique et nuancée.

Bien que hautement valorisée, le jury souligne presque avec regret que cet enseignement est propre à la Rue St Guillaume, c’est-à-dire à Science Po.

La boucle est bouclée. La culture générale apparait ici, comme une science de la réflexion et de l’érudition qui ne s’apprend que dans des enceintes élitistes.

3 Les multiples facettes de la culture générale

Parler de culture générale en France, c’était parlé d’une épreuve de concours. Or, en formatant les programmes, les attentes, les modes de penser, cette culture générale est devenue une culture « générique ». Il est donc temps de renouer avec le principe de culture.

La culture, donnée supérieure de l’existence

La culture, dans sa conception la plus large, représente plus qu’une simple accumulation de connaissances.

Elle est une dimension fondamentale de l’existence humaine. Celle qui permet à chacun de s’élever au-delà de ses besoins primaires et de ses désirs immédiats.

Dans cette perspective, la culture est un ensemble de référentiels propres à un groupe humain.

Elle englobe des valeurs, des croyances, des pratiques et des savoirs communs. Elle offre un cadre de compréhension du monde et de soi-même, donnant sens à l’expérience humaine et permettant aux individus de transcender leur condition purement matérielle.

Cette approche de la culture comme « donnée supérieure de l’existence » souligne son rôle crucial dans le développement personnel et collectif. Elle permet à l’homme de se projeter dans des dimensions intellectuelles, artistiques, spirituelles ou philosophiques qui enrichissent considérablement son vécu et sa perception du monde.

L’UNESCO lui reconnait une place à part entière dans le processus de développement des peuples.

La culture générale, une culture générique?

Dans cette approche, la culture est générale, en ce qu’elle est capable de s’étendre et de s’ouvrir à la nuance et aux particularismes.

Lorsque la culture générale devient une épreuve de concours, elle devient normée. Cette standardisation lui fait perdre une partie de sa richesse intrinsèque.

Dès lors, la culture générale est enfermée dans un programme, avec des « passages obligés » et des concepts figés qui font consensus.

Les risques de la standardisation du savoir

Cette standardisation conduit à une limitation de la qualité du raisonnement. La culture devient « générique ». Elle a perdu sa substance identitaire.

Alors que les rapports de jurys de l’ENA incitent les candidats à « être eux-mêmes », la réalité de l’épreuve pousse souvent à la reproduction de schémas de pensée et d’argumentation préétablis.

La culture générale risque devient un exercice de style plutôt qu’une véritable démonstration de réflexion personnelle et critique.

La culture générale: un pont entre passé et présent

Malgré ces critiques, la culture générale joue un rôle essentiel dans notre société.

Elle est marquée par l’héritage des Humanités et des Lumières. Les grands auteurs classiques, les philosophes du XVIIIe siècle, les événements historiques majeurs de la construction nationale font partie intégrante de ce socle de connaissances jugées essentielles.

L’importance que Marc Fumaroli accorde aux Humanités reflète une vision de la culture comme vecteur de formation de l’individu en société et plus largement, d’émancipation intellectuelle.

Conjuguer héritage intellectuel et enjeux contemporains

Aborder la culture générale, ce n’est pas seulement assimiler des savoirs, c’est aussi – et surtout – les confrontés à notre contemporanéité. Cette double dimension fait de la culture générale un pont entre le passé et le présent, c’est-à-dire un outil pour nous placer dans cette grande fresque de l’Humanité.

La culture générale idéale devrait être accessible à tous, elle devrait permettre à chacun de développer des savoirs de base et une connaissance des problématiques, des questions, des enjeux, des forces en présence, sur un sujet donné.

Elle devrait fournir les outils conceptuels et les connaissances nécessaires à cette analyse, tout en restant ouverte à d’autres approches.

Ce n’est donc pas un amas de connaissances figées mais un outil dynamique de compréhension et d’action dans le monde.

Conclusion : La Culture Générale, un Investissement pour la Vie

En conclusion, la culture générale est un outil puissant qui façonne notre compréhension du monde et affine notre pensée critique.

Plus largement, elle est aussi un atout dans nos interactions sociales et professionnelles.

  1. Sur le plan personnel, elle enrichit notre vie intérieure, stimule notre curiosité et notre créativité, et nous aide à trouver du sens dans un monde complexe
  2. Professionnellement, Dans son livre « A practical Education », Randal Stross souligne combien les compétences en Sciences humaines sont utiles dans le milieu professionnel.

Ces savoirs améliorent notre adaptabilité, notre capacité à résoudre des problèmes, et notre aptitude à communiquer efficacement avec des personnes de divers horizons.

  • Socialement, elle nous permet de participer de manière plus éclairée aux débats de société et de contribuer positivement à notre communauté.

Cest un point sur lequel insiste particulièrement Fareed Zakaria. Il fait même. Dans son essai « In defense of a liberal Education » considère même que les savoirs portés par une éducation libérale sont les fondements de la démocratie.

  • Intellectuellement, elle nous donne les outils pour continuer à apprendre et à grandir tout au long de notre vie, maintenant notre esprit vif et engagé.

[Lien vers l’article à créer : « Les bénéfices à long terme d’une riche culture générale »]

L’Avenir de la Culture Générale

Alors que nous avançons dans le 21e siècle, la nature et l’importance de la culture générale continuent d’évoluer.

Voici quelques tendances et réflexions sur l’avenir de la culture générale :

  1. Interdisciplinarité Croissante : Les défis du futur nécessiteront de plus en plus une approche interdisciplinaire. La capacité à faire des liens entre différents domaines de connaissances deviendra encore plus cruciale.
  2. Adaptation Constante : Avec l’accélération des avancées technologiques et scientifiques, la culture générale devra intégrer rapidement de nouveaux domaines de connaissances. L’apprentissage tout au long de la vie deviendra non seulement un atout, mais une nécessité.
  3. Compétences Métacognitives : Au-delà des connaissances elles-mêmes, les compétences liées à l’apprentissage – savoir comment apprendre, comment valider l’information, comment penser de manière critique – prendront une place centrale dans la culture générale.
  4. Conscience Globale : Dans un monde de plus en plus interconnecté, une compréhension des enjeux globaux et une sensibilité interculturelle feront partie intégrante de la culture générale.
  5. Équilibre Numérique-Analogique : Trouver un équilibre entre les connaissances et compétences liées au monde numérique et celles ancrées dans le monde physique et les traditions culturelles sera un défi important.
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