De la Culture Générale à l’Action : Clarifiez – 1/3
Nous avons déjà vu que la connaissance est un atout dans la vie professionnelle.
Nous avons aussi abordé comment une connaissance pertinente pouvait être développée.
Mais si accumuler du savoir était suffisant, tout le monde serait un stratège hors pair. Or, la réalité est tout autre. Pourquoi ? Parce que le savoir mal organisé est plus un fardeau qu’un atout.
Avant d’interroger les faits et de prendre des décisions, il faut clarifier.
Clarifier ce que nous savons réellement, mais aussi comment nous utilisons ces connaissances. Trop souvent, nous participons à des débats où les termes eux-mêmes sont flous, les définitions approximatives, et les mots chargés d’émotions contradictoires.
Comment alors se forger une conviction solide si les fondations mêmes du raisonnement sont bancales ?
C’est précisément ce que nous allons explorer dans cet article. Avant de prendre une décision ou de défendre une idée, nous devons d’abord :
– Définir les termes-clés : De quoi parle-t-on réellement ?
– Comparer les usages : Un mot peut-il avoir plusieurs significations selon le contexte ?
– Analyser les valeurs sous-jacentes : Quels biais et idéologies sont cachés derrière les concepts que nous utilisons ?
Clarifier, c’est mettre de l’ordre dans ses idées pour mieux penser et mieux agir. C’est la première étape essentielle avant de questionner les faits (ce que nous verrons dans le prochain article « Interrogez ») et de transformer cette réflexion en décisions concrètes, ce sera l’objet d’un article « Décidez ».
Prêt à affûter votre esprit et à sortir du brouillard intellectuel ? C’est parti.
1 Clarifier pour Identifier et définir les termes-clés: De quoi parle-t-on?
Les termes à clarifier sont souvent les piliers conceptuels sur lesquels repose l’ensemble de l’argumentation.
Dans Asking the Right Questions: A Guide to Critical Thinking, Neil Browne et Stuart Keeley développer rappellent qu’une mauvaise compréhension des termes clés peut entraîner des arguments biaisés ou inefficaces :
« Lorsque des termes clés ne sont pas clairement définis, cela ouvre la porte à des ambiguïtés qui affaiblissent non seulement la réflexion, mais aussi l’impact de l’argumentation. »
asking the right question
C’est la raison pour laquelle il peuvent être porteurs de nuances subtiles ou de significations complexes qu’il faut saisir en amont de la réflexion.
Une idée reprise dans l’ouvrage The Craft of Research où le collectif d’auteurs qui a rédigé l’ouvrage précise:
« Une argumentation solide commence par une définition claire des termes essentiels, car ces définitions orientent et limitent les contours du débat. » (The Craft of Research)
Pour mettre en pratique cette approche, prenons l'exemple d'un débat sur l'intelligence artificielle (IA) et son impact sur l'emploi. Dès les premières minutes de la discussion, on pourrait identifier les termes suivants comme essentiels : Intelligence artificielle, Automatisation, Emploi, Compétences, Adaptation.
Ce sont les fondations du débat. Par exemple, le terme « intelligence artificielle » peut être compris différemment selon les interlocuteurs : certains peuvent l'envisager comme une technologie spécifique (par exemple, ChatGPT ou une autre IA grand public), d'autres comme un concept plus large englobant diverses formes d'automatisation.
« Une définition claire d’un terme technique ou conceptuel permet d’éviter qu’il soit interprété différemment par divers interlocuteurs, ce qui pourrait compromettre le débat. » (Asking the Right Questions)
De même, le terme « emploi » peut varier en fonction des contextes :
- Pour certains, il renvoie aux emplois traditionnels dans les secteurs manufacturiers ou tertiaires.
- Pour d'autres, il inclut les nouvelles formes de travail, comme le freelancing ou les emplois liés aux plateformes numériques.
Les bénéfices d’une clarification préalable
« Une clarification initiale des termes permet de structurer un argument non seulement autour de faits et d’idées, mais également autour d’un vocabulaire partagé qui facilite la progression du débat. » (The Craft of Research)
En procédant ainsi, vous évitez les confusions dues à des interprétations divergentes, tout en orientant la discussion autour des objectifs poursuivis.
Cette étape préliminaire permet également de structurer la discussion autour de concepts centraux, facilitant une progression logique et cohérente du débat.
2 Comparez les usages des termes
Analyse des motivations
Asking the Right Questions rappelle que « les termes employés sont rarement neutres ; ils reflètent souvent des valeurs ou des préférences implicites “.
Dans son ouvrage Anti Bullshit, Elodie Mielczareck soutien l’idée que “le mot est une idéologie”
“Le mot “progrès” a été tellement idéologisé ces dernières années dans la sphère publique qu’il devient un marqueur politique. Il est le symptôme d’un courant de pensée spécifique: le progressisme Initialement associé à des enjeux de réformes, le terme se colore de nuances plus “technologiques” actuellement: le progrès pourrait sauver l’humanité du désastre écologique qui l’attend.”
Étapes pratiques pour l’analyse contextuelle
- Identifiez les différents contextes : Examinez comment le terme est utilisé dans la littérature académique, les documents professionnels et les médias grand public.
- Comparez les définitions : Notez les différences subtiles dans la façon dont le terme est défini ou traduit d’une langue à l’autre.
L’expression “développement durable” en français n’a pas la même portée que “sustainable development” des anglo saxons.
Comme le rappelle The Craft of Research, une analyse attentive des variations linguistiques permet de construire une argumentation plus claire et rigoureuses.
- Analysez les utilisateurs : Déterminez qui emploie le terme et dans quel but. Un politicien, un chercheur et un journaliste peuvent utiliser le même mot avec des intentions très différentes et des significations opposées. L’exemple du terme “progrès”, précédemment cité est particulièrement significatif à cet égard
- Évaluez l’impact : Réfléchissez à la manière dont ces différentes utilisations peuvent influencer la compréhension et la perception du public.
En appliquant cette approche, vous éviterez les malentendus dans vos échanges et votre réflexion.
3 Analyse des valeurs sous-jacentes dans le débat
L’examen approfondi des valeurs sous-jacentes est une étape cruciale dans tout débat constructif. Les mots-clés et les concepts utilisés dans une discussion sont rarement neutres.
ils véhiculent souvent des idéologies et des valeurs implicites qui influencent notre compréhension d’un sujet, parfois même sans nous en rendre compte.
Reprenons notre exemple du terme de « progrès ».
Si nous prenons ce mot dans son sens positif, alors un nouveau champ de questions se posent:
Le progrès c’est quoi? A partir de quant considère-t-on qu’il y a progrès? Qui en bénéficie ? Dans quel domaine ? À quel prix ? Au détriment de qui?
La notion de progrès n’étant pas universelle, elle reflète des points de vue particuliers, ancrés dans des contextes culturels, historiques ou économiques spécifiques.
Comme le souligne « Asking the Right Questions », les concepts clés contiennent souvent des hypothèses non dites qu’il est essentiel d’identifier, car elles façonnent nos conclusions et nos perspectives sur le problème.
Identification des hypothèses implicites
Elle consiste à:
- Dévoiler les fondements idéologiques : Chaque argument repose sur des croyances fondamentales, souvent invisibles mais omniprésentes. Il faut les mettre en lumière pour comprendre l’origine des positions des différents acteurs.
- Comprendre les désaccords : Les divergences dans les débats naissent souvent de conflits de valeurs, plus que de faits objectifs.
- Révéler les biais personnels : Même les chercheurs chevronnés ont des biais. il vous appartient de les déceler pour essayer de trouver la voie la plus claire pour votre chemin de pensée.
Marche à Suivre pour analyser les valeurs sous-jacentes
Pour approfondir cette démarche, « The Craft of Research » propose une méthodologie simple mais puissante :
- Identifier les intentions et le public : En comprenant qui est l’audience et pourquoi elle adopte certains termes, il est possible de mieux anticiper les objections et de répondre de manière ciblé
- Évaluer les hypothèses linguistiques : Les mots employés reflètent souvent des intentions cachées ou des attentes implicites.
- Explorer les contextes culturels et historiques : Cela aide à replacer les termes dans une perspective plus large et à relier les enjeux du présent à leurs racines passées.
L'exemple le plus marquant est sans doute celui de la ministre Pannier-Runacher évoquant la "sobriété énergétique subie". Avouez que c'est plus élégant que de parler de ménages placés dans l'incapacité de payer leurs factures d'énergies du fait de leur hausse.
Importance pour la réflexion
Cette analyse ne cherche pas à discréditer les arguments, mais à enrichir la discussion. Elle révèle les véritables enjeux et dépasse les oppositions superficielles, ouvrant la voie à un dialogue plus riche et nuancé. En s’appuyant sur ces outils, il devient possible de développer une compréhension critique et une capacité accrue à naviguer dans des débats complexes.
4. En résumé
En somme, “clarifier’, c’est établir une base de réflexion claire et partagée. Voici un mode opératoire qui reprend les points évoqués dans cette partie:
- Définir les termes clés pour le débat
- Comparer les définitions
- Formaliser une base commune
Assurez-vous que les termes du débat sont réellement partagés et que vous êtes au clair avec l’objectif poursuivi dans votre réflexion. Cette validation collective évite les malentendus ultérieurs.
En conclusion, la clarification des termes est une étape incontournable de la prise de décision.
Elle transforme les efforts initiaux en un socle solide sur lequel s’appuyer pour naviguer dans des débats complexes et parvenir à des décisions éclairées.